Trajectoire de l'adhérent 156

Lorsque Jean Chamalet m’a parlé de trajectoire, j’ai aussitôt pensé qu’il voulait faire une critique constructive de la trajectoire de mes dernières balles de golf. Il visait beaucoup plus loin car il s’agissait de ma trajectoire dans la vie . Avec mes bases solides de maths, tout de suite m’est venue à l’esprit la droite : y= ax+b mais après une courte réflexion, j’en ai conclu que mon cheminement était d’un autre niveau : sinusoïde, parabole, en tout cas pas une courbe en cloche.
Donc, sans prétention, voici ma  «  trajectoire  » quelconque peut-être mais pas «  ordinaire  » puisque c’est la mienne .

Aîné d’une famille nombreuse, élevé dans la rigueur protestante, j’eus droit à des études supérieures, mon père ayant décidé que je devais prendre sa succession à la tête de son entreprise de vente et réparation de véhicules automobiles.

Dans cette intention, j’intégrais l’Armée de l’Air et l’école de Rochefort afin d’apprendre la mécanique – Promotion A 4/1 – Breveté mécanicien moteur et avion sur Marauder B26 bi-moteur de 2800 CV.

Sorti du giron familial, que de découvertes dans tous les domaines : vie courante, comportements ou technique : j’ai même fait de la forge! En plus des cours, vu ma valeur, je fus désigné comme répétiteur pour les élèves qui avaient du mal à suivre., Je logeais dans une baraque en bois « le village nègre » datant de la guerre . J’avais à ma disposition un gros poêle, du charbon, un tableau noir et une vingtaine de tables d’écoliers. En complément, les bals du samedi soir, Fradin et la Bourse , très « achalandés », ont largement contribué à la mise à niveau de ma vie extra-professionnelle  !

Nous étions fin 1949 et j’avais 20 ans !.

Affectations successives  :

Ambérieu  : mécanicien de piste sur P 47 Thunderbolt, moteur identique à celui du B26. Période courte, sans histoire, bien adapté, libre et heureux .

Bureau escale de Tunis El Aouina : mécanicien de piste mais aussi épicier, barman, cuisinier, etc.. Ce type d’activités me plaisait beaucoup par sa polyvalence qui m’offrait l’occasion d’exercer mes multiples dons !. Parlant l’anglais, je devais assister à tous les départs et arrivées des avions français et étrangers. Monsieur Zitoun ou son représentant était toujours là : il pouvait tout fournir, du camembert à la « zitoun : olive» en passant par les légumes, le vin rosé et objets les plus divers.

C’était le fournisseur privilégié des avions du GMMTA en route sur Saïgon .

A ce stade, je change ma trajectoire et décide de rester dans l’Armée de l’Air. Je prolonge donc mon engagement et abandonne lâchement le garage de papa !
Ingrat va !

Nous voici début 1951. .

C’est le départ pour l’  » Indo ». Très long voyage sur le Pasteur, mauvais souvenirs dans des conditions difficiles de vie à bord. Je couchais dans un hamac que je démontais tous les matins car notre dortoir servait de réfectoire le jour. Les ‘’Thabor » encore plus mal lotis étaient relégués dans les cales.

Saïgon , 22ème G.A.O.A : mécanicien de piste sur Morane 500 »Criquets » Une opportunité de devenir pilote s’offre à moi : volontaire, je suis admis sur titres :
à ma grande satisfaction. Seul examen à subir : celui d’un psychiatre qui m’a posé des questions surprenantes ( moi, j’avais l’air normal ). Dorénavant, j’allais changer de trajectoire et devrais m’y consacrer sérieusement !

De ce séjour colonial, j’ aurais des tas de choses à raconter, mais je me dois de rester succinct.. Une petite anecdote quand même, les crapauds buffles tenaient la vedette, notamment la nuit, nous tenant en éveil par leurs coassements originaux.

Même avec une lampe de poche, difficile d’apercevoir ces minables petits batraciens qui ne fonctionnaient que la « sono » à fond. Un ancien m’a expliqué qu’en fait, le crapaud n’était buffle que de par sa voix. Découverte.

Il faudrait aussi évoquer les crabes sur la piste après les fortes pluies, les termites, les margouillats les autochtones, les couchers de soleil magnifiques, etc.. l’EXOTISME, quoi !.

Nous voilà début 1952.

Retour en France sur le FRAFA, le DC 4 du GLAM. A nous le ruban bleu, record de vitesse battu . Quel contraste avec le voyage aller sur le Pasteur qui dura 23 Jours ! Tests divers à Versailles, puis l’entraînement aérien à Aulnat et Carcassonne . Vols sur Stampe : pour moi c’est la première fois que je touche un manche à balai, le vrai car à notre époque le balayage à la paille de riz était plus courant. Souvenir de mon premier vol sur le dos : j’ai perdu le crayon à papier auquel je tenais, il était presque neuf ! Pas de difficultés pour moi, je venais de découvrir que j’aimais piloter. Je suis sorti « maj » de promo ! Normal non ?

Bouleversement dès juin 1952 .

USA : Promo 53 D : Kingston primary sur T6, Bryan Texas : Advanced : un nouvel avion le T 28 et surtout la découverte du réacteur avec leT33. Bon souvenir, j’ai été nommé « four stripes «  ( insigne de grade 4 barrettes = squadron commander ) par les élèves, me faisant commandant en second des cadets de la base. Consécration :

la remise des « silver wings » correspondant au « macaron » de pilote de notre Armée de l’Air. La chance semble m’abandonner : au cours du dernier voyage offert en fin de stage, un malheureux incident provoque l’explosion du réacteur de mon T33, qui, brisé en 2, prend feu mais sans trop de dommages pour l’équipage.

Bien mauvais souvenir à l’issue d’un séjour enrichissant et agréable. Fin de stage pour le chasseur que je suis devenu : la « Gunnery » (entraînement ops et tirs ) sur T33 et F 84 à Del Rio. Cette ville à la frontière du Mexique avait beaucoup de « charmes » car nous avions l’autorisation de traverser le Rio Grande del Norte pour nous rendre à Villacounia, baptisée « boys city ». No comment !

Paris : Retour dans le circuit français. Dès ma première visite médicale au CEMPN, conséquence de mon accident, je suis déclaré inapte au siège éjectable.

La chance me sourit à nouveau car malgré mon inaptitude, le cabinet PN en la personne du commandant François Maurin (futur CEMA ) me propose de retourner aux USA pour un stage sur hélicoptère.

Nous sommes en 1954, année riche en bouleversements.

  Les USA à nouveau mais je suis rodé et prêt à la découverte du « ventilateur ».

Gary air force base : vols sur Bell 47 G2, puis sur Sikorsky H19 et me voilà avec un brevet de pilote d’hélicoptères .Stage à l’américaine, donc très complet et rapide,
avec l’obligation de s’accrocher. Réalisme poussé au maximum car il faut être capable de faire des piqûres , mission oblige. Ce n‘est pas le plus facile , certains s’en souviendront longtemps. Le Bourget : Dugny , en attente d’affectation. Provisoirement, je suis chargé de la liquidation des dossiers de pension dans les bâtiments du quai Blériot.

Arrive 1955 .  

Boufarik : Une escadre d’hélicoptères légers et moyens : EHL 57 vient d’être créée. Vols sur Bell 47 Giovani Augusta avant un retour en France pour un stage sur S 55 organisé par des civils à Buc, près de Versailles et complété par un entraînement en montagne au Fayet au Mont Blanc. Retour à Boufarik, compétent sur H 19 et satisfait. Je participe au convoyage, en passant par l’Espagne, de six H 19 d’Allemagne à Boufarik.

Au cours d’un détachement à Constantine sur H 19, je n’ai pas oublié une evasan de nuit, sans lune, sur la presqu’île de Collo au nord de Philippeville. A l’arrivée, guidé par un SR 300 et quatre lampes au sol je prépare mon approche. Très vite je perds les lumières. Je recommence donc et décide de faire une approche a plus forte pente. La finale est une vraie descente à la verticale sur les lumières, sans vision latérale dans l’obscurité. Récupération du blessé, décollage : réalisant que je suis entouré d’arbres, j’enroule les tours, un peu plus de 2400, et je tire sur le collectif, montée puis au sommet présumé des arbres je pousse sur le collectif RAS, nous rentrons.

Deux jours plus tard, je suis envoyé en évacuation sur cette même DZ bien balisée.

Les conditions étaient telles que je n’ai pas osé engager la vie de l’équipage ni la mienne d’ailleurs. J’ai donc demandé que l’on déplace le blessé de 50 m vers le nord, là il y avait un grand espace bien plat et dégagé. A l’époque l’armée de terre considérait l’hélicoptère comme un outil pouvant tout faire : nous étions à leur disposition !

Nous sommes en 1956, l’Algérie tient la vedette.

Oran  : EH 03/057 sur Sikorsky H 19 et Westland S 55. Très souvent détachés à Ain Sefra. J’avais le titre flatteur de leader de formation lourde, c’est-à-dire d’un groupe de six hélicoptères. Nous volions pratiquement tous les jours. En mission nous étions généralement accompagnés d’un pirate – hélicoptère armé – qui lui était plus autonome. À cette époque nous avions un bon soutien technique mais la logistique pour les personnels était pour le moins déficiente. Côté gastronomie les boîtes de ration constituaient l’ordinaire, chacun se débrouillant pour y mettre une touche personnelle, avec parfois l’aide de l’Armée de Terre, des légionnaires ou de certains privilégiés. Nous faisions généralement notre propre cuisine. Chaque équipage avait ses spécialités donnant lieu à des invitations mutuelles. À cette époque il était possible d’apercevoir des gallinacés installés dans les cargos, poulaillers volants qui fournissaient les œufs, l’odeur de friture était normale, celle de la poudre aussi !

Nous sommes en 1957 . avec l’extension du maintien de l’ordre en Algérie

Le Bourget du Lac : BE 725 mes qualités justement reconnues , me voici instructeur pilote sur H 19 jusqu’en mars 1960. Période laborieuse et épuisante, il était courant de faire 90 à 100 heures de vol par mois. L’hiver, nous quittions l’usine du Bourget du Lac pour un détachement à Gap Tallard, où, retrouvant un rythme de vie normal, l’ambiance chaleureuse reprenait le dessus.

Oran  : le royaume des hélico est l’Algérie et me voilà donc de retour cette fois à l’ EHL 02/058 puis à la 2° Escadre. Retour à Chambéry 15 jours après pour un stage sur H 34 et retour à Oran en mai. Même processus que lors de mon premier séjour, je suis détaché à Ain Sefra, qui devient plus que ma résidence secondaire.

Les missions sont bien mieux planifiés, presque de la routine, il suffisait de bien synchroniser les manœuvres d’approche de la formation des six H34 car le pirate et les B26 traitaient systématiquement les DZ, nous nous posions dans la fumée des bombes que nous voyions tomber des B26. Il nous arrivait rarement de nous poser sous un tir d’armes automatiques. Ceci m’est toutefois arrivé : au cours d’une approche étant aux commandes, mon copilote veut filmer la scène. Un rebelle, insensible au bruit et a la fumée ! caché derrière un gros rocher nous tire par courtes rafales puis se cache. L’œil collée à sa camera mon copilote exulte: « pas dégueulasse hein ! » et ceci a plusieurs reprises. En courte finale j’entendais quelques impacts frapper le cargo, les légionnaires que nous transportions ont vite sauté sur la DZ , poussés par le mécanicien, qui lui s’était rendu compte de la situation. Je dégageais rapidement essuyant une désapprobation verbale véhémente de la part d’un cinéaste amateur frustré..

Le temps a passé, la rébellion selon certains, serait écrasée. Ce deuxième séjour est donc beaucoup mieux organisé même si les équipages sont souvent amenés à se résoudre au camping sauvage pour survivre ; Mr Trigano et le « Club Med » n’existent pas encore ou les conditions optimales ne sont pas réunies.

Nous arrivons en 1962 . où certains accords dans une ville d’eaux transforment la vie politique et militaire de la France

Villacoublay : GTLA 02/60. Je retrouve les avions. Stage de reclassement pilote bimoteurs à Avord puis dans la foulée SQT au CIET sur Dakota.

Au GAEL je vole sur Paris MS 760, Beech D18 E, Dakota, Nord 262, Mystére 20.. Détachements divers ou incongrus, BouSfer ,Papeete. Ma réputation est telle que je suis désigné comme juge titulaire au tribunal militaire, la Justice est aveugle.
Grand organisateur des Nuits du Gael et des Journées Portes Ouvertes sur la base, j’assure également, grâce à ma voix de crooner, le rôle de speaker au cours de divers meetings aériens..

Toujours actif et efficace, je n’en suis pas moins mis en congé du PN, c’est la loi.

26 ans dans l’Armée de l’Air et 12000 heures de vol, 5 citations et 164 évacuations sanitaires : carrière bien remplie, j’ai fait consciencieusement mon devoir.

Normal , nous sommes en 1975 et j’ai 46 ans.

Stage d’initiation aux affaires puis carrière civile chez Thomson où je m’occupe de tri postal, d’informatique et de finances.

20 ans ont passé, nous sommes en 1996  

J’ai 67 ans, trop jeune pour dételer. Fort de mes nouvelles compétences, je m’érige en consultant bénévole pour aider les PME PMI ou autres entreprises dans les domaines d’organisation, de gestion et de contrôle, en insistant sur les aspects financiers indispensables ( ma nouvelle spécialité )..

Entre-temps, en 1988, Création de l’ANTAM

Les anciens du Transport se sont réunis au sein d’une association longtemps en gestation . Je ne pouvais faire moins, avec mes connaissances, que de rejoindre l’équipe de direction et m’occuper des activités : organisation et finances.

Nous sommes, aujourd’hui, en 2007.  

J’ai 78 ans et toujours au bureau de l’ANTAM quand je ne suis pas sur les Greens, martyrisant de pauvres petites balles de golf qui ne demandent rien de plus que d’aller vite se cacher au fond d’un tout petit trou.

Bientôt 20 ans à ce poste très prenant qui m’a passionné, mais je crois qu’il serait temps de passer le flambeau à un jeune retraité, un gaillard de 60 berges qui puisse Inciter les générations suivantes à nous rejoindre

Cela paraît difficile à trouver. j’en suis très flatté mais non irremplaçable !!

Mon avenir dans les tournois de golf, même « seniors » étant limité, il me faut trouver une voie de garage, sans doute pas celui auquel me destinait mon père !

VILLACOUBLAY – Mars 2007