Quelques souvenirs de l’adhérent 691
Photo : Bernard SEGUIN
IMC en PIPER CLUB
Un beau matin de printemps comme dit le poète, je décollais en Piper-Cub PA 11 de Castelnaudary avec un ami pour aller faire une promenade vers le lac de Saint-Ferréol de l’autre côté de la Montagne Noire.
Le ciel était couvert, la visibilité bonne. En approchant de la Montagne Noire, la météo s’est légèrement dégradée mais les conditions restaient assez bonnes pour respecter les conditions de vol à vue. Et là brusquement, sans rien ne puisse le laisser prévoir, je me suis retrouvé dans un nuage. L’air était très humide et vraisemblablement en état de sursaturation, cet état de sursaturation est un état de faux équilibre, l’air peut rester limpide même avec une humidité relative supérieure à 100 %, cet état est rarissime à basse altitude. La moindre perturbation comme le choc du passage d’un avion fait cesser cet état de faux équilibre et la condensation est immédiate, ce qui m’est arrivé.
J’avais une grande expérience du vol en conditions IMC, les Conditions Météorologiques de vol aux Instruments mais avec les instruments nécessaires, Horizon artificiel, Conservateur de cap ou tout au moins Indicateur de virage. Le Piper-Cub dédié au vol à vue n’avais rien de tout cela. Le premier moment de surprise passé, j’ai respiré un grand coup, je me suis dit « du calme, comment se sortir de ce piège ». Le seul instrument susceptible de me donner mon attitude, c’est-à-dire ma position en inclinaison et en piqué cabré était le compas boule.
Le compas boule est la boussole de l’avion, une rose de cap flotte dans un liquide amortisseur. Pour compenser l’inclinaison du champ magnétique terrestre et garder la rose de cap horizontale, le côté opposé au barreau magnétique est lesté d’une petite masselotte. Le problème, c’est que en virage, cette masselotte est sollicitée par la force centrifuge et la rotation de la rose de cap est perturbée avec des accélérations et des ralentissements. À part aux caps Ouest et Est, la lecture du cap ne peut s’effectuer qu’en vol horizontal stabilisé.
Comme j’avais un cap vers le relief, il était impératif que je fasse demi tour et en douceur car je savais bien que si le contrôle du vol m’échappait, je ne pourrais rien faire pour le récupérer.
Donc malgré une forte tension nerveuse, j’ai gardé mon calme et avec une très légère sollicitation du palonnier, je suis parti en virage à plat l’œil rivé sur le compas boule pour bien rester à l’horizontale et degrés par degrés j’ai réussi à me mettre au cap vers la plaine. Après un temps qui m’a semblé une éternité je suis sorti du nuage et j’ai pu reprendre le pilotage en vol à vue.
Mon ami passager a bien senti que quelque chose d’anormal se passait, je le remercie de m’avoir fait confiance et d’être resté silencieux.
Une carrière de pilote est émaillée d’incidents qui parfois fait dire intérieurement « là c’était bien près de la limite »
De l’utilité du baquet pare-balles
Pour les héliportages en groupe, le leader de la formation était plus particulièrement chargé de la navigation pour assurer le poser au bon endroit, ce qui n’était pas une mince affaire les coordonnées fixées ayant une précision de 200 mètres avec la carte au 1/50000, le pilotage reposait donc sur l’autre pilote.
Ce 11 avril 1958, je me retrouve pilote du H.34 de tête, le numéro 513. Le leader étant le Lieutenant C. et nous partons pour un héliportage dans le secteur de BIR RABALOU à la cote 1361. Après la deuxième rotation une évacuation sanitaire primaire se déclenche dans le même secteur à la cote 1223, nous nous dirigeons donc vers ce point. Le lieutenant C. me définit l’endroit du posé mais une sorte de prescience me dit que le coin n’est pas sûr et au lieu de faire une approche directe, je garde ma vitesse et prépare un passage. En approchant, je vois plusieurs soldats occupés à tirer et dans l’instant, j’entends un bruit et reçoit un gros choc dans les fesses. Par réflexe, je bascule le H.34 sur la droite pour fuir ce mauvais endroit et je sens le manche durcir, la panne de commande de vol et la perte de contrôle m’effleurent mais ce n’était que le lieutenant C. qui surprit par la manœuvre et ne sachant pas ce qui m’arrivait cherchait à reprendre le pilotage. Il n’avait pas eu, lui ce coup dans les fesses qui m’avait amené à réagir si brutalement.
Avant d’être arrêtée par le dessous du baquet, la balle était passée entre les pédales du palonnier et entre le manche et ma jambe gauche. Le mécanicien, le Sergent J. quant à lui avait reçu dans le cou des escarbilles de métal brûlant.
J’ai pu récupérer la balle dans le baquet. Arrivée avec un angle d’une trentaine de degrés elle s’était arrêtée en quelques centimètres alors que expertisée par un service de la 5° RA, il s’est avéré que c’était une balle perforante à noyau acier de fusil mitrailleur italien Stati. Je la conserve toujours dans une petite boite d’allumettes au milieu de mes reliques.
Les évacuations sanitaires de nuit n’étaient pas une mince affaire et ce n’est jamais sans une certaine appréhension que si inconfortable qu’elle fut nous quittions la chambre de la baraque Fillod à l’appel du planton pour assurer notre mission. Surtout que si les délais de déclenchement n’avaient pas été si longs, beaucoup de ces évacuations auraient pût être effectuées de jour.
Cette appréhension disparaissait dès le décollage car il y avait fort à faire. Le seul moyen de radionavigation du H.19 était un radiocompas mais comme nous volions bas, et qu’il y avait peu de balises au sol, il ne nous était pas d’un grand secours. La procédure était donc le vol à vue, une navigation vers la bourgade éclairée la plus proche du point à atteindre et à partir de là, au cap et à la montre vers le poste ou le PC de l’opération. Le point de posé, la DZ était balisé par la lueur de phares de jeep ou de moyens de fortune constitué de boites emplies d’un mélange de sable et d’essence. Le puissant phare du H 19 nous était aussi d’un grand secours. Il était aussi très important de bien authentifier la destination pour ne pas être attiré dans un guet-apens.
Ce soir là, l’évacuation sanitaire à effectuer était pour un poste au sud de Ténès, à la limite de l’Algérois et de l’Oranais. Ténès est près de la côte donc une navigation simple. Nous trouvons facilement le poste, posé, embarquement du blessé, décollage, donc mission facile.
En fait, rien n’était facile sur hélicoptère à cette époque. A l’aller rien ne l’avait laissé prévoir mais peu après le décollage nous sommes retrouvés dans les nuages. Le relief sur la côte algérienne ne permettait pas de redescendre pour passer sous la couche, il était même nécessaire de continuer jusqu’à l’altitude de sécurité et de prendre le cap à l’est.
Le vol aux instruments sur hélicoptère est beaucoup plus délicat que sur avion. L’avion est stable par nature, l’hélicoptère ne l’est pas. La cabine qui sert de référence aux instruments gyroscopiques, se balance sous ce qui sert d’aile, le rotor. Ce qui nécessite des actions très mesurées des commandes de vol. Une correction d’une épaisseur de maquette ou même d’une demi maquette sur l’horizon artificiel permet un contrôle précis en avion. En hélicoptère les corrections peuvent nécessiter des variations de trois ou quatre épaisseurs de maquette. Le vol aux instruments particulièrement sur ces hélicoptères d’ancienne génération était extrêmement fatigant, de plus seule la planche de bord droite, celle du premier pilote était équipée d’instruments de vol sans visibilité donc impossible de se relayer pour le pilotage à cause du parallaxe. Heureusement nous avions eu en école une excellente formation et ce genre d’aventures s’est toujours bien passé.
Après en temps de vol qui m’avait semblé très long, nous sortons des nuages et j’aperçois sur la droite une bande de lumières, je dis donc à mon collègue « voici les villes et villages au bord de l’Atlas, dont Blida ». Puis droit devant j’aperçois les faisceaux d’un phare et je comprends de suite que les lumières sur la droite étaient en fait celles de la côte, Tipasa et autres. Nous avions dérivé vers le nord et nous étions en pleine mer. Altération de cap immédiate pour retrouver le survol de la terre en adressant un merci à messieurs Pratt et Withney pour nous avoir fait des moteurs aussi robustes. Une panne moteur et nous disparaissions à tout jamais.
Le reste atterrissage à Marcel Cerdan la DZ de l’Hôpital Maillot d’Alger et le retour à Boufarik n’étaient que de la routine.
Mort d’une Convoyeuse de l’Air
Le 29 novembre 1957, à l’EHL 1/58, partie de l’EH 3 de Boufarik une évacuation sanitaire se déclenche en fin de matinée. Dix blessés à aller chercher en MY45.01 soit sur les tous premiers contreforts de l’Atlas, plein sud d’Alger. Sans autres informations et si près d’Alger, nous pensons « encore un camion qui est tombé dans un ravin ».
Nous embarquons donc tranquillement sans nos gilets pare-balles dans le H.34 N° 354. Moi le sergent H. Norbert le 2° pilote, le sergent B de C en 1° pilote, le sergent A. mécanicien, le lieutenant médecin B. et une convoyeuse Jaïck DOMERGUE.
Le vol pour se rendre sur place a été très court mais une fois de plus les informations données avant le départ n’était pas bonnes et insuffisantes car au lieu d’un camion tombé dans le ravin nous arrivons en plein accrochage et les blessés étaient des blessés par balles.
Habitués à ce genre de situation, nous nous posons quand même, mais compte tenu de l’escarpement du lieu, sans pouvoir bénéficier d’un repli de terrain, donc en pleine lumière sur une petite ligne de crête en regrettant d’avoir laissé les gilets pare-balles à la base.
Bien entendu nous gardons le rotor tournant et avertissons le cargo de faire vite. Les premiers blessés sont embarqués rapidement et là comme au cinéma, nous avons vu face à nous sur le petit sentier de la ligne de crête un alignement de petits geysers de poussière, des petits geysers de poussière levés par les impacts d’une arme automatique. Il était temps de s’échapper. Le sergent B. de C. alors aux commandes arrache le H.34 du sol et nous met hors de portée avec bien entendu l’intention de revenir lorsque les conditions seraient meilleures.
Avec le H.34, en se penchant et en regardant sous le siège, nous avions la possibilité de voir dans le cargo. Et là j’ai vu un corps allongé en combinaison donc un membre de notre équipage. Le sergent A. nous a alors averti que la convoyeuse avait été touchée. Nous n’étions guère qu’à une dizaine de minutes d’Alger donc à pleine vitesse nous avons mis le cap vers la DZ Marcel Cerdan, l’héliport de l’hôpital Maillot.
Nous n’avions pourtant pris que deux balles, malheureusement, la convoyeuse Jaïck DOMERGUE avait été touchée pleine tête et est décédée au cours du vol.
A la période des expériences atomiques souterraines d’In Amguel dans le Sahara à une centaine de kilomètres au nord de Tamanrasset nous étions souvent amenés lorsque j’étais affecté au GT 1/64 Béarn du Bourget à effectuer sur Noratlas dans la journée la mission le Bourget, Alger, In-Amguel, près de dix heures de vol. Je détestais cela car la deuxième partie s’effectuait en grande partie de nuit et le dernier point de recalage de navigation était In-Salah à mi chemin, il restait à effectuer deux heures et demie de nuit sans aucun repère, seuls les points astro du navigateur nous maintenaient sur la route. Les moyens de radio navigation du Noratlas étaient limités à deux radiocompas. L’alignement station arrière sur In-Salah était vite inutilisable et la balise de In-Ecker de très faible puissance avait une portée très réduite. Si je n’aimais cette mission c’est que je me disais : « un jour quelqu’un ne trouvera pas le terrain et ça se terminera mal » car il n’y avait aucun terrain de déroutement, l’aérodrome de Tamanrasset n’étais ouvert que de jour et il aurait fallut remonter à In-Salah ou Reggan, la charge que nous transportions ne permettais pas un emport de carburant suffisant.
Hé bien ce que je craignais est arrivé quelqu’un n’a pas trouvé le terrain et j’étais le premier pilote de ce vol. Le commandant de bord était le lieutenant B., navigateur, navigateur expérimenté car il avait derrière lui une première partie de carrière comme sous-officier navigateur. Comme deuxième pilote ce jour là, j’avais un hanneton. Ce terme un peu irrévérencieux désignait les officiers d’Etat-major qui venaient voler en unité pour garder le contact. Ils étaient pleins de bonne volonté mais avaient perdu leur entraînement. En règle générale nous ne transportions que du fret mais ce jour là pour corser l’affaire nous avions des passagers.
Lorsque nous avons survolé In-Salah il faisait déjà nuit noire et comme cela arrive souvent au Sahara le temps était brumeux aucune étoile de visible donc pas d’astro. Il ne restait que la méthode : au cap et à la montre. Tenir deux heures et demie dans ces conditions sans avoir une connaissance réelle du vent, était assez aléatoire.
Les deux radiocompas calés sur la fréquence de la balise d’In-Ecker nous attendions l’approche de l’HEA, l’heure estimée d’arrivée, pour espérer avoir une indication utilisable. Les ARN.7 n’étaient pas du matériel très performant et la balise au sol était de faible puissance et ce soir là à cause de toute la poussière en suspension il régnait une atmosphère électrisée. Les deux aiguilles des radiocompas pointaient droit vers le sud. A l’HEA, dix minutes après l’HEA, quinze minutes après l’HEA, aucune indication exploitable des radiocompas, pas de terrain en vue mais un bon contact VHF. Si le terrain avait été équipé d’un gonio il n’y aurait eu aucun problème.
Manifestement nous avions dépassé le terrain. Nous calons les radiocompas sur la fréquence de la balise de Tamanrasset et les deux aiguilles pointent trois quart arrière gauche pendant quelques secondes et repartent attirées vers le sud. L’indication quoique fugitive semblait nous confirmer que nous avions dépassé le terrain et que nous étions au sud. Le lieutenant Bossuat prend alors la décision de commencer un ratissage en remontant vers le Nord. Le ratissage est une succession de branches parallèles pour couvrir une certaine zone et nous espérions ainsi apercevoir le terrain.
Une voix nouvelle arrive sur la fréquence, celle d’un Bréguet d’Air France qui allait lui aussi à In-Amguel. Par rapport à nous il était équipé de VOR un moyen de radio navigation plus précis que le radiocompas et surtout insensible aux parasites atmosphériques et aux effets de nuit. Il nous offre son aide mais à cause de la brume nous ne le voyons pas et il ne nous voit pas. Un autre moyen est essayé il émet sur une fréquence captable par nos radiocompas, aucun résultat, à l’inverse nous émettons il essaie de nous relever sans succès. Il nous annonce que compte tenu de son carburant qu’il va être obligé de nous abandonner pour se poser.
Pendant ce temps, quoique nous soyons mis au régime économique les réservoirs de carburant se vident. Le Noratlas était équipé de trois groupes de réservoirs, les A de grande capacité dans la partie externe des ailes, les B au centre des ailes de moyenne capacité et les C entre le moteur et le fuselage de faible capacité. Le mécanicien navigant avait consciencieusement asséché les réservoirs A et B, une main sur les leviers de commande des robinets réservoirs, un œil sur la pression d’essence en attendant la chute de pression d’essence pour changer de réservoir et ne pas perdre une goutte du précieux carburant.
Les réservoirs C étant bien entamés et notre recherche du terrain restant sans succès, je décide de commencer la descente, de façon à garder de l’énergie moteur d’une part pour alimenter la génération électriques garder ainsi les instruments de pilotage et les phares et d’autre part pour pouvoir éventuellement sauter au moteur un obstacle qui se présenterai devant au moment du crash, mais sans trop avoir l’espoir de s’en sortir.
A ce moment, j’aperçois une lumière brillante qui monte dans le ciel, un phare. Il y avait un autre Noratlas sur le terrain et averti il venait de décoller pour nous venir en aide. Nous étions très proches du terrain et seule la brume nous empêchait de le voir.
Au sol nous avons retrouvé l’équipage qui avec son phare d’atterrissage nous a indiqué la position du terrain et aussi l’équipage d’Air France qui regrettait de n’avoir pu nous assister plus longtemps.
Après cette aventure, la hiérarchie a convenu que faire les In-Amguel de nuit n’était pas raisonnable ils ont été abandonnés. De jour le désert présente assez de points de repères pour assurer une navigation tranquille.